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Chronique du 22 mars

Madre de Dios, candidat officiel de l’État chilien au Patrimoine mondial de l'Humanité/Unesco

Voici déjà deux semaines que nous sommes rentrés en France, mais nos esprits sont encore un peu là-bas, sur cette île dont les beautés et les mystères nous attirent encore et toujours, expédition après expédition. Son climat détestable ne parvient décidément pas à nous en éloigner bien longtemps…

Nous avons laissé, au fond de quelques cavités, des « arrêts sur rien », par manque de temps ou de corde, qui vont nous hanter jusqu'à la prochaine expédition ! Car notre esprit d’aventure va nous pousser à revenir dès que possible, c’est évident…

Il y a aussi ces paysages extraordinaires, tellement changeants avec les « quatre saisons en une heure » si caractéristiques de l’île, et puis ces karsts à perte de vue, ces étendues vierges aperçues depuis un sommet, si tentatrices qu’elles nous mettent au supplice ; sans oublier ces grottes ouvertes sur la façade pacifique laissées en attente, parce que l’on ne peut débarquer là que dans des conditions qui tiennent du miracle. Et, bien sûr, cette forêt magellanique sublime, dont le parcours reste magique…

L’accueil et l’écoute des autorités chiliennes en charge de Madre de Dios sont aussi pour nous une puissante incitation. Le 4 mars, au cours d'une conférence de presse tenue en présence du ministre des Biens Nationaux, Felipe Ward, et de l'ambassadeur de France au Chili, Roland Dubertrand, a été signé un accord de coopération entre le ministère des Biens Nationaux, Centre Terre et l’Association de Spéléologie de Patagonie.

Vue nocturne de la cabane, déjà presque vide, et de nos bateaux qui attendent d’être chargés.
Vue nocturne de la cabane, déjà presque vide, et de nos bateaux qui attendent d’être chargés.

Adieu la base, bonjour Santiago !

Ce 27 février est le jour du grand départ. La veille, jusque tard dans la nuit, les équipiers ont convoyé par la tyrolienne nos innombrables bagages, qu’il a fallu ensuite stocker à fond de cale. La base scientifique a été préparée pour l'hivernage. Les cloisons en polycarbonate ont été doublées en contreplaqué. Tout l'équipement sensible, comme le tableau électrique, les prises de courant, le surpresseur, le poêle à bois, la chaudière et même l'évier, ont été démontés et embarqués. Il ne faut pas tenter les indélicats, le passé nous l’a prouvé. Mais la porte restera ouverte, pour permettre à un improbable passant de s’abriter…

Une équipe de cinq est nécessaire pour plier et transporter la toile des tentes russes. Le démontage du camp est une galère, mais il est incontournable …
Une équipe de cinq est nécessaire pour plier et transporter la toile des tentes russes. Le démontage du camp est une galère, mais il est incontournable …
Il ne faut pas oublier de soutenir le moral des troupes !
Il ne faut pas oublier de soutenir le moral des troupes !

Ne subsistent, perdues au milieu de l'immensité sauvage de Madre de Dios, que les plateformes désertes des tentes et notre base vidée de tout objet. Enfin, presque : épinglées au mur, il a la lettre de la famille de José lue ici lors de la cérémonie à sa mémoire, et une photo de lui, toute froissée, que Denis avait sortie précieusement de son portefeuille.

Le « coin José » reste sur place, en attendant notre retour.
Le « coin José » reste sur place, en attendant notre retour.
La porte de la cabane va rester immobile après deux mois d’ouvertures et de fermetures incessantes.
La porte de la cabane va rester immobile après deux mois d’ouvertures et de fermetures incessantes.

Vers 10 heures, le treuil est démonté, les trépieds et le câble, qui pèse 100 kg à lui seul, sont portés jusqu’aux bateaux en descendant avec précaution la pente gorgée d’eau. Il ne reste plus qu'à répartir les équipiers sur les trois lanchas de pêche, converties pour nos besoins en navires d'expédition.

Les amarres sont larguées à 11 heures du matin.

Les bateaux amarrés dans le seno Ultima Patagonia.
Les bateaux amarrés dans le seno Ultima Patagonia.

Nous quittons à regret le seno Ultima Patagonia, qui a été ainsi baptisé très officiellement par les autorités chiliennes. Depuis la première expédition de Centre Terre en 2000, nous avons tissé avec Madre de Dios des liens si forts et si nombreux, une relation si puissante, que même après deux mois passés sur l'île, il reste difficile de prendre le chemin du retour.

Le Don Arturo passe devant le Grand Cirque, une zone prometteuse ou se cache encore un « arrêt sur rien ».
Le Don Arturo passe devant le Grand Cirque, une zone prometteuse ou se cache encore un « arrêt sur rien ».

Le Don Arturo, reconnaissable à sa coque jaune vif, va faire route vers la base de Guarello, où l'équipe va laisser un dépôt de matériel en attente pour la prochaine expédition, et compléter le séchage des tentes, commencé ce matin sous un timide soleil, avant de pouvoir les placer dans le conteneur pour son long voyage vers la France.

Il reprendra la mer le 28 vers sa destination finale : Puerto Natales.

Notre flotte colorée est prête pour le voyage de retour, qui promet d’être long…
Notre flotte colorée est prête pour le voyage de retour, qui promet d’être long…

Le Valparaiso II, peint de bleu, et un petit nouveau, le Yerko décoré de rouge, sans doute pour mieux masquer la rouille, vont faire route ensemble par le canal Trinidad, où le Valparaiso ira récupérer un petit canot pneumatique laissé en janvier à l'entrée du "passage des Indiens". Comme le Yerko est le plus lent, un point de rencontre est fixé avant le passage du Kirke, cet étroit dangereux où, à marée montante ou descendante, les eaux s'échangent tumultueusement entre le canal Conception et l’immense fjord Ultima Esperanza où se situe Puerto Natales.

Le Valparaiso II se déroute provisoirement vers le seno Egg et le « passage des Indiens ».
Le Valparaiso II se déroute provisoirement vers le seno Egg et le « passage des Indiens ».

Le 28 au soir, après une navigation tranquille avec des conditions météo parfaites, les deux bateaux atteignent Puerto Bories, le port situé à 8 km de Puerto Natales. Tout au long du périple, nous avons eu tout le temps d’observer animaux marins et oiseaux, dans le décor somptueux des canaux de Patagonie.

Les dauphins nous accompagnent, toujours aussi curieux.
Les dauphins nous accompagnent, toujours aussi curieux.
Les otaries restent impassibles á notre passage.
Les otaries restent impassibles á notre passage.
Jusqu’au dernier moment, la nature nous offre ses cadeaux.
Jusqu’au dernier moment, la nature nous offre ses cadeaux.

Le 1er mars à midi, le Don Arturo arrive à enfin à quai. Les soutes des deux premiers bateaux viennent tout juste d’être vidées, et le matériel transporté sur le plateau de la semi-remorque en attente. En moins d'une heure, c'est le contenu du Don Arturo qui est débarqué, et nous repartons à vide, pour une ultime mais courte « croisière », vers le port central de Puerto Natales, où nous devons prendre le bus.

L’équipe attend le bus dans le port de pêche de Puerto Natales
L’équipe attend le bus dans le port de pêche de Puerto Natales

Après un dernier transit à travers la pampa, voici Punta Arenas, où tout le monde s'entasse dans le petit mais chaleureux hostal tenu par Betty. Le 2 mars, il reste une « légère » formalité à accomplir : dix tonnes à charger dans notre conteneur qui nous attend chez le transitaire. Le transfert s’effectue en grande partie sous la pluie, histoire de ne pas perdre les bonnes vieilles habitudes !

Le lendemain, toute l'équipe s'envole pour la capitale chilienne.

Dernier coucher de soleil sur les canaux de Patagonie.
Dernier coucher de soleil sur les canaux de Patagonie.

5 mars, Santiago, ministère des Biens Nationaux

À 10 heures du matin, l’équipe de Centre Terre est réunie dans la salle de conférences du ministère des Biens Nationaux, à l’invitation du ministre Felipe Ward, et en présence de Roland Dubertrand, ambassadeur de France au Chili.

Salle de conférence du Ministère de Biens Nationaux, Santiago du Chili.
Salle de conférence du Ministère de Biens Nationaux, Santiago du Chili.

La conférence de presse, sous les caméras de Canal 13, permet à Bernard et Natalia de faire une présentation des résultats de l’expédition, en s’attachant particulièrement à mettre en avant les richesses patrimoniales naturelles de l’île Madre de Dios, et en détaillant nos études scientifiques : karstologie, spéléologie, botanique, microbiologie, archéologie, etc.

Bernard et Natalia présentent les résultats préliminaires de l’expédition Última Patagonia 2019
Bernard et Natalia présentent les résultats préliminaires de l’expédition Última Patagonia 2019

Dans son allocution, notre ambassadeur a souligné le partenariat qui lie les Biens Nationaux et Centre Terre, comme exemplaire des relations franco-chiliennes. Puis ce fut au tour du ministre, Felipe Ward, de montrer son attachement au travail réalisé par Centre Terre depuis deux décennies. Travail d’exploration et d’étude qui a déjà permis le classement de l’île en 2007 sous le statut de « bien protégé ». Le ministre s’est engagé à ce que les prochaines expéditions de Centre Terre soient encore davantage soutenues par ses services. Enfin, M. Felipe Ward a déclaré que son ministère allait proposer la candidature de l’île au Patrimoine mondial de l’Humanité auprès de l’Unesco. Alors qu’un seul suffit pour postuler, quatre des dix critères établis par l’Unesco sont déjà acquis grâce aux études menées par les différentes expéditions de Centre Terre.

Le Ministre des Biens Nationaux (à droite), l’Ambassadeur de la France au Chili (au milieu) et Richard Maire.
Le Ministre des Biens Nationaux (à droite), l’Ambassadeur de la France au Chili (au milieu) et Richard Maire.

Avant de clore cette présentation par montage vidéo « à chaud » sur l’expédition 2019, une petite cérémonie a accompagné la signature d’un accord tripartite liant le ministère, Centre Terre et l’Association Spéléologique de Patagonie, une émanation de Centre Terre dont Natalia est la présidente. Cet accord est une convention de coopération et de collaboration pour les années futures, avec notamment l’attribution d’une concession de plusieurs centaines d’hectares autour de notre base scientifique du Barros Luco, afin d’accompagner officiellement la continuation de l’exploration et de l’étude de l’archipel de Madre de Dios par Centre Terre, dans l’idée notamment des développements à venir dans le dossier Unesco.

Dès le lendemain, l’équipe décollait de Santiago pour rallier la France…

Ultima 2019 est terminée, mais le travail continue !

Pendant deux mois, l’équipe Ultima Patagonia 2019 s’est consacrée à l’exploration de quatre nouveaux secteurs. Cela a permis la découverte de près de 5 000 mètres de conduits souterrains nouveaux, dans des conditions d’engagement parfois très difficiles… Dans les siphons, notre équipe de plongeurs a mis à jour un réseau souterrain noyé de près de 450 mètres de développement. Situé à trente mètres de profondeur, ce réseau aquatique nous a permis de rejoindre un système de galeries connu depuis 2017. Sur un autre secteur plus élevé en altitude, c’est un gouffre de plus de 270 mètres de profondeur qui a été descendu et exploré, avec de nombreuses galeries restant aujourd’hui ouvertes à de futures investigations. Enfin, l’incursion glaciaire menée au début du mois de janvier sur le glacier Tempano, a permis à quinze de nos spécialistes de découvrir et d’explorer plus de 1 000 mètres de grottes glaciaires et de moulins ainsi qu’un système hydrologique sous glaciaire complexe de plus de cinq entrées.

En plus des résultats spéléologiques et exploratoires, les apports scientifiques conduits par l’équipe d’expédition ont déjà porté aussi des fruits exceptionnels. Sur le glacier Témpano, par exemple, grâce aux équipements et à la technologie de dernière génération utilisée, l’équipe de glaciologues a pu mesurer la vitesse d’avancement et de déformation dynamique du glacier, un travail inédit sur le secteur. Dans les eaux du Barros Luco, sur une zone où cela semblait pourtant improbable jusqu’à présent, de coraux vivants ont été localisés et identifiés…

Au delà des résultats obtenus sur le terrain, vient le temps du traitement des données scientifiques dans les laboratoires. Charlotte Honiat a déjà coupé en deux la stalagmite qu’elle était allée chercher au fond de la grotte des Trois Entrées plus Une, dans le cadre d’une étude paléoclimatique d’envergure qui va permettre retracer l’histoire géologique, climatique et environnementale de cette partie peu connue de la planète… De son côté, Stéphane Jaillet a commencé à traiter une carotte prélevée au fond du lac José, dont la fine stratigraphie permettra aussi de revenir en arrière sur les paléoclimats.

Les ordinateurs ont commencé à tourner pour produire les photogrammétries relevées sur le terrain, sur les champs de comètes de roches et de champignons de roche, et sur des sites archéologiques.

Eh oui, l’expédition est loin de s’arrêter le jour du retour sur le continent ! Il faut maintenant mener à bien toutes les études engagées, notamment au Chili, concernant l’inventaire des mousses et autres bryophytes collectés par Pedro, et les prélèvements de bactéries réalisés dans le cadre d’analyses microbiologiques. Il faut aussi dépouiller les enregistrements effectués dans le but de détecter la présence éventuelle de chauves souris sur l’île pendant nos deux mois de présence sur place.

De son côté, le conteneur va bientôt prendre la mer. Il est déjà prévu de se retrouver un week-end de juin chez Soligotrans à Grigny, pour son déchargement. Les tentes et le matériel sensible seront contrôlés, puis le matériel sera réparti en divers lieux de stockage, en attendant la la prochaine expédition…

N’oublions pas le rapport final d’expédition, en français et en espagnol, qui sera produit avant la fin de l’année 2019. Un très gros travail en perspective…

Enfin, à Montpellier, le futur film est déjà en chantier. Gilles et Yanick, qui a troqué son statut de chef opérateur pour celui de monteur, sont plongés dans le dérushage des innombrables séquences tournées…

On vous tiendra au courant de la suite donnée à tout ça !

Un des rares jours de grand beau temps, vue du Barros Luco depuis le camp de base, qui a été notre lieu de vie pendant deux mois. En arrière-plan, la Grande Barrière
Un des rares jours de grand beau temps, vue du Barros Luco depuis le camp de base, qui a été notre lieu de vie pendant deux mois. En arrière-plan, la Grande Barrière

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