José Mulot vient de nous quitter à l'âge de soixante ans, quelques mois seulement après avoir pris sa retraite. Compagnon des expéditions Ultima Patagonia depuis dix ans, José était un ami cher, sur qui l’on pouvait toujours compter. D’une fiabilité à toute épreuve, il était apprécié de tous, autant pour son caractère et son entrain que pour ses compétences et son souci permanent de l’autre.
Ce souci de l’autre, deux anecdotes nous le remémorent.
En 2014, l’un de nous est victime d’un accident dans un gouffre situé à plusieurs kilomètres du camp de base. José est en première ligne. Il prend les mesures nécessaires, assure la liaison avec le camp, aide à porter secours et organise les équipes sur place. Sans relâche, il alterne les fonctions de guide ou de porteur de civière dans des conditions parfois extrêmes. Durant les 12 heures qu’il faudra pour ramener notre compagnon au camp de base, José n’a jamais faibli.
En 2017, alors que son effroyable maladie était déjà installée, il est là, encore et toujours, au plus proche de l’action, aux côtés de celui qui doit être évacué par hélicoptère suite à une dégradation de son état de santé.
José, c’était par définition celui qui est toujours là où il faut, quand il le faut et sans que personne n’ait à le demander. C’était une présence. Il était un pilier de Centre Terre et nous voilà aujourd’hui amputés, au premier sens du terme, d’un de nos membres les plus importants, d’un des meilleurs d’entre nous.
Doté d’une grande capacité physique, sportif dans l’âme, José était fin connaisseur en biologie et en géologie, disciplines qu’il mobilisait régulièrement autour de la spéléologie. En ce sens, José était un spéléo complet, c’est-à-dire à la fois fin technicien de la progression sous terre et observateur curieux et efficace du milieu souterrain. Il fut aussi sauveteur, spécialiste et même négociateur du Spéléo Secours Français.
Lorsqu’avant l’expédition 2008 il se rapproche de Centre Terre, le bonhomme est donc « connu ». Instructeur de la Fédération Française de Spéléologie, très engagé dans les stages de formation à tous niveaux, compagnon de bien des explorations dans les Alpes, les Causses et les Pyrénées, il est un de ces spéléos du Nord qui ont roulé leur bosse et développé ainsi une culture très forte de la pratique de la spéléologie. Il est partout reconnu et apprécié pour ses qualités humaines. S’il se rapproche de Centre Terre, c’est pour y apporter ce qui fait sa spécificité à l’Éducation nationale. Professeur de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), il a mis en place dans son collège de Picardie un atelier scientifique d’une nature un peu spéciale : un atelier sur la spéléologie ! Celui-ci fonctionne depuis déjà de nombreuses années et l’idée de José est de l’ouvrir à la Patagonie qui le fait rêver.
Côté Centre Terre, cette idée plait énormément mais nous ne mesurons pas l’ampleur qu’elle va prendre : car nous ne connaissons pas encore suffisamment notre José, opiniâtre, d’une efficacité redoutable, capable de convaincre aussi bien un collègue qu’un proviseur, un recteur, et finalement un ministère. 2008 aura donc été une année de lancement, avec la bonne idée de réaliser une première liaison téléphonique d’une petite vingtaine de minutes entre l’expédition sur place et un groupe d’élèves réunis à Amiens. Cette première liaison réussie débouchera sur une suite de visioconférences, parfois réalisées dans des conditions dantesques. Elles feront la spécificité des relations entre Centre Terre et l’Education Nationale. L’une d’entre elle marquera pour toujours nos mémoires, José est en France, nous sommes à Madre de Dios, et le voilà qui attaque la liaison par un « Allo la Patagonie ! » qu’il charge de toute de sa joie si communicative.
Pour l’expédition de 2010, toujours sous l’impulsion de José, l’idée du nouveau projet éducatif est de monter en puissance et de déployer l’opération au niveau national. Son collège suit, le rectorat suit, le ministère suit et, à sa grande joie, José est affecté à la totalité de l’expédition. Quelques jours avant l’expédition, le 15 décembre 2009, c’est l’effervescence à la Maison Jules Verne à Amiens. Sous les caméras, José descend de la tour par une tyrolienne et enclenche ainsi son aventure à l’autre bout du monde. Accompagné des élèves de son atelier scientifique et spéléologique, il lance ainsi symboliquement le départ de l’expédition Ultima Patagonia 2010. Quel punch !
Le volet éducatif de 2010 sera à son tour une très belle réussite. Alors pourquoi s’arrêter ? José a démontré qu’il était possible d’ancrer les projets pédagogiques d’un établissement scolaire sur la spéléologie. Pas uniquement sur le sport ou la géologie, mais bien sur la totalité des programmes pédagogiques. Son coup de génie aura été d’avoir imaginé et construit, à partir des programmes ministériels et des compétences demandées aux élèves, une série de fiches pédagogiques centrées sur la spéléologie et des aventures menées par Centre Terre en Patagonie. Ces fiches, il les publie sur le site de Centre Terre et les met à disposition des élèves et de leurs professeurs.
C’est un succès ! Concours et visioconférences s’enchaînent. Des milliers d’élèves suivent nos aventures. Finalement José est détaché de l’Education Nationale, il intègre le ministère des Sports pour être affecté à la Fédération Française de Spéléologie afin de justement déployer, sur l’ensemble du territoire, ce type d’approche en partenariat avec l’Education Nationale.
Les expéditions de Centre Terre se suivent : 2014, puis 2017 ; les concours « Éducation nationale » s’enchaînent, d’autres élèves, d’autres enseignants nous rejoignent. Le 25 juillet 2016, José finit par obtenir que Centre Terre soit officiellement agréé par le ministère de l’Education Nationale. De nouvelles portes s’ouvrent pour nous ! C’est le couronnement d’années d’efforts acharnés que José a consacrés à la promotion de sa passion. Fort de ses nombreuses années d’enseignement, des multiples projets qu’il a lancés et toujours réussis, il connaît et maitrise tous les dédales et méandres de l’Education Nationale. Pour nous, il les éclaire et sait les exploiter avec discrétion et discernement, sans mettre en avant la somme de travail et l’énergie qu’il y déploie.
C’est cela que nous garderons tous en souvenir ! José avait cette capacité de conviction des cœurs purs, cette foi inébranlable en des valeurs humanistes ; il était d’une haute moralité : intégrité, honnêteté, générosité, engagement, fiabilité, sens de la transmission, partage et camaraderie … Les décisions prises collectivement, José les appliquait avec conscience et sa simple parole valait contrat.
José, sans chercher à les étaler, évoquait parfois ses origines modestes. Non pour en tirer quelque fierté, mais pour souligner combien il se sentait redevable des institutions, en particulier dans le domaine éducatif, qui lui avaient permis de s’élever. Son évolution personnelle explique sa grande soif de transmission et de partage. Sans même s’en rendre compte, il a rendu au centuple ce qu’il avait lui-même reçu.
Il avait aussi cette noble et belle rugosité campagnarde qui en faisait une personne tout à la fois solide et sensible. Capable de porter un sac à dos de son propre poids, et capable de s’émerveiller d’une fleur accrochée sur un bout de lapiaz. Il était tout cela !
Et le pire est arrivé, José nous a quittés. Combien d’élèves sont orphelins ? Combien de jeunes (et moins jeunes) spéléos ont perdu un enseignant, un pédagogue, un ami ?
Il y a un peu de toi dans les grottes de France, il y a un peu de toi dans les gouffres de Patagonie, et, surtout, il y a beaucoup de toi dans nos cœurs.
José, nous ne t’oublierons pas. Merci pour tout ce que tu nous as apporté.
Centre Terre, 12 janvier 2018