Aujourd'hui est une journée relativement calme. Cédric, Lionel, Arnauld, Joël et Denis partent à la grotte des Trois entrées pour en continuer l'exploration. Depuis la base, ils se dirigent donc vers l'est avec leur Bombard, longent la côte et entrent dans la première anse qui se présente à main gauche. Les dauphins jouent avec le bateau. Après avoir débarqué, suivre la falaise en remontant d'une trentaine de mètres en altitude permet d'atteindre le porche où une plateforme a probablement été aménagée autrefois par les Kawésqar. Un mur de pierre, des amas coquilliers, une côte d'otarie confirment leur passage. De là, la vue sur la mer est imprenable ! Tandis que Cédric et Joël commencent à lever la topographie, Lionel, Arnaud et Denis partent en exploration au-delà du terminus atteint la veille, au sommet d'un puits. Le trajet suit une galerie d'environ huit mètres carrés de section, autrefois parcourue par l'eau circulant en conduite forcée. Le sol en a été ensuite incisé sur 3 à 4 mètres de hauteur par les eaux, formant un surcreusement plus étroit mais très esthétique. Des galeries affluentes débouchent en paroi et en plafond. On parvient dans un volume plus important à partir duquel la galerie principale remonte plus fortement. C'est là que l'on rencontre les cordes de marine laissées autrefois en place par des visiteurs. Les deux petites escalades faciles qu'elles équipent donnent sur un complexe de galeries entrecroisées où l'on suit le fort courant d'air. Après l'ancien puits terminal, le réseau descend et la galerie en conduite forcée reprend, toujours ventilée. Elle donne accès à divers conduits affluents. Vu l'heure tardive, l'équipe s'arrête en bas d'une escalade. Le courant d'air est toujours là. Il sert de fil d'Ariane dans ce réseau complexe qui a tout pour devenir la cavité la plus importante du secteur, tant par son développement que par ses possibilités de pénétration profonde du massif.
Dans la même anse, Carlos est revenu au porche qu'il a découvert avant-hier, et baptisé « Petite Chinoise ». Il est accompagné de Georges, Richard et Franck. Une rivière de 2 m3 par seconde sort d'un beau siphon situé sous un vaste porche. Elle se perd ensuite entre des blocs pour ressortir au rivage. L'eau est chargée en acides humiques, de couleur thé. Elle pourrait provenir d'une perte proche ou d'un lac. Franck déroule quarante mètres de fil de son dévidoir dans une galerie peu profonde et ressort dans un grand vide de plus de dix mètres de haut, avec une forte résonance. Un affluent arrive en rive droite. Il décide d'aller chercher Carlos et poursuivre avec lui. Ils explorent environ 80 mètres d'une galerie exondée avant de buter sur un second siphon. La nouvelle galerie noyée est belle, elle descend jusqu'à -24 m puis remonte. Franck a parcouru cent mètres, Carlos le rejoint. Mais l'autonomie de leurs bouteilles les contraint à faire demi-tour. Le complexe formé par la grotte des Trois Entrées et la résurgence de la Petite Chinoise constitue, à l'évidence, un très gros drain du massif, d'une ampleur rare en Patagonie, qui promet de belles explorations, dans l'air comme dans l'eau.
Au camp de base, où l'on en est réduit, depuis la panne définitive du Marlink, à communiquer avec le BGAN 710 de Centre Terre, Bernard constate avec inquiétude que celle-ci présente les symptômes d'une panne aléatoire : par moments, le verrouillage du satellite ne se fait pas, ou très difficilement. Décidément, nous sommes trahis cette année par l'électronique. Alors que la première visioconférence est pour lundi, les choses s'annoncent mal !
Stéphane, Vincent et Natalia ne rentrent qu'à 21 h 45, mais en été à cette latitude, il fait encore grand jour. Ils ont réalisé aujourd'hui la manip de modélisation 3D d'un secteur du karst que Stéphane avait programmée, le tout sous les caméras de l'équipe cinéma. Tout c'est bien passé (voir le contre rendu en encadré).
La matinée est consommée par la préparation de l'évacuation de Michel (voir le compte-rendu en encadré). L'après-midi est très mauvaise, c'est un véritable déluge qui tombe du ciel. Toutefois, il faut remonter sur les massifs pour profiter de l'accalmie qui est annoncée pour le début de semaine prochaine : deux jours avec des vents faibles ! Malgré la tourmente, Jean-Marc, Joël, Denis, Florian, Lionel se portent volontaires pour partir au camp du Totem, sur la Grande Barrière. Cédric, Arnauld, Laurence et Jean-Phi ne monteront au karst Nord que demain.
Un autre objectif, plus proche, est choisi par Richard, Vincent, Carlos et Franck : plonger le siphon repéré au fond de la caleta San Pedro quelques jours auparavant par Natalia, Jean-Marc et Laurent. Après une heure de progression pénible dans la forêt, ceux-ci ont atteint la falaise, précédée d'un éboulis le long de laquelle ruissellent plusieurs cascades balayées par le vent. Au pied de l'une d'elles, ils ont trouvé un éboulis instable descendant sous un porche vers un siphon (n°1). Mais la descente est problématique. Ils poursuivent donc le long de la falaise, jusqu'à une seconde entrée descendante, plus praticable, où s'ouvrent une galerie et un autre siphon (n°2). En raison de la cascade qui ruisselle là, le lieu a été baptisé « las Duchas de San Pedro » (les douches de Saint-Pierre).
Aujourd'hui les plongeurs, chargés de leur lourd matériel, peinent dans la forêt avant d'atteindre enfin ce siphon n°2. Carlos y progresse de 30 mètres vers l'amont, dans une galerie déclive. Parvenu à -18, il s'arrête en raison du courant violent qui s'oppose à lui. Pendant ce temps, Vincent a fouiné dans la galerie proche du siphon. Il a trouvé une salle ainsi que la vasque d'un autre siphon qui semble être le siphon 1 ; celui-ci serait donc sur le même trajet des eaux, mais plus en amont que le siphon 2 actuellement en cours de plongée. Franck y remplace Carlos, descend jusqu'à – 20. Puis le conduit remonte franchement, et Franck pense même déboucher rapidement dans le siphon 1. Il est malheureusement bloqué par son fil d'Ariane : son dévidoir est vide. Il revient donc levant la topographie du siphon.
La nuit a été aussi agitée que la soirée : sous les assauts du vent déchaîné, les structures des cinq tentes de couchage du camp s'écrasent mais résistent. Les toiles claquent et vibrent. Les doubles toits appuient largement sur les tentes intérieures, laissant l'eau s'insinuer insidieusement à partir des points de contact. Pour beaucoup, le sommeil est bien long à venir.
Au matin, une équipe formée de Natalia, Franck, José et Bernard se prépare pour la grotte des Trois Entrées. Parvenue au port, catastrophe, plusieurs matériels ont été emportés par la mer ! Deux gros bidons de 200 litres ont disparu, dont l'un est vital puisqu'il contient tout le matériel d'entretien et de réparation des Bombard. Parmi les fuyards, il y a encore un canot pneumatique dans son sac, un kayak gonflable, une bouteille de plongée, deux sacs de bois de chauffage et quelques paires de rames. Pourtant, tout était stocké bien au-dessus des marées hautes ! Ce n'est que plus tard que nous apprendrons qu'un séisme de magnitude 5,3 s'est produit cette nuit à Puerto Williams, tout au sud de la Terre de Feu, à mille kilomètres d'ici : voilà certainement le responsable de la marée exceptionnelle qui a emporté notre matériel. L'heure est donc grave. La sortie prévue se transforme en opération de recherche, mais le Barros Luco est un fjord immense, vingt kilomètres de long, deux de large, qui présente plusieurs ramifications elles-mêmes très étendues… C'est presque mission impossible ! Pourtant, après une journée entière de fouille intensive, tout est récupéré, à l'exception de la bouteille de plongée, introuvable bien que Carlos ait quadrillé les profondeurs du seno à sa recherche. L'un des deux bidons a été retrouvé …à 12 km de la base !
Au karst Nord, l'équipe a déménagé le camp de l'Aire du Condor vers un lieu plus adapté.
Une réparation de fortune de Bernard semble avoir stabilisé l'antenne satellite. Les visioconférences prévues ce jour vont donc pouvoir se tenir, la première est prévue pour 9 h 30, avec le lycée Louis Lumière de Lyon et la seconde avec le lycée Peytavin de Mende ainsi que le collège Ageron de Vallon-Pont-d'Arc, ce dernier en visionnage passif. Mais l'antenne n'en fait qu'à sa tête et la connexion très instable ne permet finalement pas d'assurer la liaison avec Lyon. A 12h, la visioconférence avec Mende démarre, les conditions ne sont pas optimales en raison du manque de débit... mais ça fonctionne quand même, avec, Bernard, José et Vincent aux commandes. Après diverses interventions, nos spécialistes répondent aux questions posées par les élèves. Tout s'est finalement bien passé, mais on a eu chaud…
L'après-midi, Stéphane relève une bathymétrie partielle du Barros Luco, dans une zone située face au camp, avec Georges à la barre. Les conditions de navigation sont mauvaises et il n'est pas question de s'approcher du débouché du fjord dans le Pacifique, là où les quelques relevés des cartes marines font état de hauts fonds de l'ordre d'une trentaine de mètres seulement. Durant les deux allers et retours que nous effectuons au travers du Barros Luco, le sondeur effectue plus de mille cinq cents mesures. Il ressort des données acquises que le fjord s'approfondit fortement au-delà du seuil qui le sépare de l'océan, puisque il dépasse les trois cents mètres de profondeur (limite supérieure de notre appareil). La coupe perpendiculaire au grand axe montre des tombants abrupts poursuivant les versants émergés. Ce fjord serait donc une très ancienne vallée glaciaire en auge, occupée ensuite par un vaste lac d'eau douce. Jusqu'à ce que la fonte des glaces ne fasse remonter de cent vingt mètres le niveau général des océans il y a quinze mille ans. Au cours de cette lente transgression, l'eau salée a envahi le lac du Barros Luco, lui donnant l'aspect d'étendue marine qu'il offre aujourd'hui.
L'équipe de la grande Barrière redescend à la base. Elle a passé un triste dimanche sous la bâche, à espérer une éclaircie, mais les conditions climatiques sont restées absolument déplorables. Bien que le camp ne soit qu'à 200 mètres d'altitude, il ne fait que 6 degrés sous la pluie constante qui frappe les tentes.
Aujourd'hui l'exploration de la grotte des Trois Entrée est poursuivie
Janvier se termine. Demain, l'équipe de février décolle de France, avec une seconde station BGAN que notre partenaire Marlink nous prête pour remédier à nos ennuis récurrents de communication, et assurer la tenue des trois visioconférences qu'il nous reste à tenir avec les scolaires.
Les surfaces karstiques de Patagonie comptent parmi les plus spectaculaires au monde et nous avons pour projet d'étudier et comprendre les modalités de la mise en place de ces paysages exceptionnels. Jusqu'à présent, nous avons surtout décrit et photographié ces surfaces. Lors de nos expéditions 2008 et 2010, nous avons pu instrumenter un bassin versant et avons réalisé de nombreuses mesures qui nous ont permis de mieux comprendre le fonctionnement de ces lapiés.
Mais il restait à mieux comprendre la géométrie de ces formes spectaculaires. Les cannelures de dissolution sont notamment très intéressantes car elles structurent l'infiltration avant la pénétration de l'eau sous terre. Elles s'organisent en bassin-versant de quelques mètres à quelques centaines de mètres carrés et offrent sur quelques dizaines de mètres les morphologies d'un drainage structuré. Pour ce faire, le choix a été de recourir à l'imagerie 3D à très haute résolution. La production d'un modèle 3D offre en effet la possibilité d'une représentation totale et exacte d'une portion de lapiaz. Le clone numérique produit est alors le support (i) d'une visualisation déportée sur informatique, (ii) d'une analyse des caractères géométriques de l'objet (dimension, pente, micro-relief) et (iii) d'une modélisation par simulation des écoulements afin d'étudier à la fois les dynamiques du ruissellement et de l'érosion.
Pour conduire ce projet, Centre Terre, déjà associé au laboratoire Edytem (edytem.univ-savoie.fr) (CNRS et Université de Savoie) pour la partie analyse des karsts, s'est associé à un partenaire technologique et industriel : l'entreprise Perazio Engineering (www.perazio.com). Spécialisé dans le domaine des technologies 3D en domaine complexe, Perazio Engineering a acquis une solide expérience et des références sérieuses tant sur des modèles 3D de grotte qu'en Recherche & Développement (grotte de Lascaux, grotte Chauvet, Système d'écoulement des eaux usées de Paris). L'objectif est ici d'unir ces compétences pour construire le modèle 3D à haute densité, simuler les modalités de l'érosion et valoriser en commun ces résultats (publication scientifique notamment).
Nous avons pu réaliser la première partie du projet sur les surfaces lapiazées de la Punta Blanca, un secteur choisi pour sa bonne représentativité. A plus de 300 m d'altitude, sur un espace de quelques centaines de mètres carrés, nous avons pu conduire l'opération de relevé en vue d'un assemblage photogrammétrique par multi-corrélation d'images. Cette opération a consisté en un positionnement de cibles sur le terrain, le relevé topographique de ces cibles et enfin la couverture photographique par un dispositif développé par Perazio Engineering.
4300 clichés photographiques vont désormais être traitées, sur station de travail, dès notre retour en France. Une fois modèle 3D produit, les opérations d'analyses et de simulation pourront débuter et donneront nous l'espérons une vision renouvelée et novatrice de ces paysages si spectaculaires.
Communiquer sur un accident ou une maladie affectant un des membres de l'expédition n'est pas facile. Nulle volonté de rétention d'information derrière ce constat ; simplement le souhait de ne pas alarmer inutilement la famille. Inutilement, puisqu'elle ne dispose pas du moyen de s'informer davantage sur les évènements, ni sur l'état physique et psychologique de la personne concernée. Maintenant que Michel est en sécurité à l'hôpital de Punta Arenas, que ses proches sont au courant et peuvent communiquer avec lui, il est possible de revenir sur la chaîne des évènements qui se sont déroulés, ce qui sera l'occasion de parler de la manière dont la sécurité est assurée sur Ultima Patagonia 2017.
Samedi 14 janvier, en déménageant du bateau, Michel ne voit pas une écoutille ouverte dans le plancher de la cabine centrale du bateau et met le pied dans le vide. Sa cage thoracique heurte violemment le rebord de l'écoutille. Souffle coupé pour quelques dizaines de secondes qui lui semblent une éternité, il constate ensuite une grosse contusion sur le torse et craint une possible fracture d'une côte flottante. Immédiatement consulté, le CCMM, Centre de consultation médicale de Toulouse, auquel Centre Terre est affilié depuis 2010 pour le suivi médical des membres de ses expéditions, précise que seul le temps peut guérir une éventuelle fracture de ce type, puisque elle ne peut pas être réduite ni immobilisée du fait des mouvements de la cage thoracique liés à la respiration. Michel doit donc prendre son mal en patience et se limiter à traiter la douleur. Un traitement classique lui est administré; il est bien connu pour ses effets sur le système gastrique et intestinal, ce qui fait que ni Michel, ni le CCMM ne s'alarme lorsque ces effets secondaires se manifestent. Une nouvelle prescription du CCMM vise à contrecarrer cette évolution.
Cependant, la prostration de Michel s'aggrave. La douleur de sa contusion d'origine semble maîtrisée, au point qu'elle est négligeable comparée aux dérèglements intestinaux très douloureux qui l'affectent désormais. Rien ne semble le soulager. L'utilisation de la valise médicale Parsys mise en œuvre par Bernard, permet d'effectuer plusieurs examens à distance. Le savoir-faire des médecins du CCMM leur permet à de quantifier l'état général du malade mais n'apporte pas de diagnostic plus précis. Température, pouls et tension, sont en effet dans la norme. De façon incompréhensible, Michel s'affaiblit encore davantage, reste alité en permanence, est pris de nausées, ne mange plus, se déshydrate ; son système digestif semble ne plus fonctionner. A tel point qu'une évacuation est finalement décidée en accord entre le chef d'expédition, le patient et le corps médical. Dés lors, l'assistance médicale de Michel est activée.
Mais extraire un malade du fin fond de l'île Madre de Dios n'a rien à voir avec les rapatriements classiques que les sociétés spécialisées opère journellement à travers le monde. Sans rien dire des conditions météorologiques extrêmement dures qui sévissent ici… Bernard et Marcelo mettent la compagnie d'assistance en relation avec la seule société de Punta Arenas rompue à ce genre d'opération. Mais son unique hélicoptère d'un rayon d'action suffisant (400 km) n'est pas sur zone.
Il ne reste plus que l'option de l'Armada, la filière navale de l'armée rompue à ce type d'extractions compliquées. Marcelo active ses contacts et obtient son intervention, bien que l'Armada soit très sollicitée par les incendies exceptionnellement graves qui affectent le centre du Chili, mobilisant nombre d'hélicoptères. L'opération est finalement programmée pour la mi-journée du samedi 28. Le jour dit, le temps est mauvais avec pluie et vent conjugués, et Michel s'inquiète. Mais les conditions s'améliorent vers 11 heures, preuve que la fenêtre choisie par l'armée était la bonne.
La seule DZ possible a été repérée et balisée par Bernard; elle est située face au camp mais de l'autre côté du seno. Lorsque l'appareil en approche se fait entendre, il est en plein brouillard. Deux fusées parachutes sont alors déclenchées. Un fumigène est également allumé afin d'aider au mieux le pilote à se poser. Côté camp de base, c'est une caravane qui se met en branle pour convoyer Michel qu'il faut soutenir. Un quart d'heure de marche. Michel monte dans l'appareil, les portes se ferment. L'hélicoptère décolle, tourne sur place et entame son vol de retour de plus de trois heures via Guarello afin de recharger en combustible.
Nous apprendrons plus tard que Michel a été hospitalisé à Punta Arenas vers 16 heures. Puis vient le fin mot de l'histoire : ce qui a dégradé son état n'a absolument rien à voir avec sa chute. Il s'agit d'une infection intestinale sévère, postérieure, qui a détruit son système digestif. Lui seul ayant été atteint, son origine reste inconnue.
Il est aujourd'hui hors de danger mais reste sous traitement. Il doit sortir de l'unité d'observation intensive dans les 48h.
Ces péripéties confirment que tout peut arriver en expédition, y compris l'imprévisible. On n'est pas pour autant dispensés de programmer le prévisible ! Pour nous, cette programmation a commencé par la constitution plusieurs mois à l'avance d'une grosse pharmacie devant rester sur la future base logistique et de petites pharmacies destinées aux camps avancés. Leur contenu a été arrêté par le CCMM, qui a également organisé pour nous une journée de formation générale. Parmi les aléas possibles, il y a ceux qui peuvent survenir lors des trajets d'approche en Bombard. Gilets, matériel de sécurité embarqué, entrainement à la conduite, formation à la chute d'un homme à la mer sont systématiques. Lors des déplacements en navire des équipes en début, en milieu puis en fin d'expédition, un point sécurité est également effectué journellement car les conditions changent constamment. Pendant l'expédition proprement dite, la météo est consultée en permanence, notamment les prévisions sur la force du vent, car c'est elle qui conditionne les possibilités et les conditions de navigation.
Le dernier maillon de la chaîne de sécurité est le participant lui-même. Il doit avoir totalement intégré qu'il ne devait jamais partir seul, jamais prendre de risque vu l'isolement où nous sommes, c'est-à-dire toujours rester un cran en-dessous de ses possibilités réelles. Chacun sait aussi qu'une équipe ne doit jamais partir sans une radio préalablement chargée, qu'un camp avancé doit rendre compte de ses activités chaque jour à la base logistique à 10, 12 et 20 heures, que toute entorse à ces obligations serait susceptible d'entraîner une intervention préventive depuis le camp de base, perturbant le fonctionnement général de l'expédition.
Malgré toutes les préparations effectuées en amont du départ, malgré le respect strict des procédures de sécurité tout au long des expéditions, malgré l'information circulant en permanence entre nous et les autorités chilienne via Marcelo pour verrouiller l'environnement général de nos activités, Centre Terre a quand même dû gérer trois évacuations, en huit campagnes réparties sur vingt-deux ans. Elles étaient à chaque fois dues à un aléa impossible à prévoir : une chute dans un puits de surface occulté par des buissons et un rocher qui s'escamote au passage d'un équipier, une autre chute consécutive à la rupture d'une prise rocheuse, enfin l'infection intestinale de cette année.
L'exploration dans des conditions extrêmes de territoires inconnus nous expose évidemment à ces risques aléatoires. Nous ne pouvons que les accepter, tout en essayant de les circonscrire au mieux. Elle est heureusement pleine de moments rares, de découvertes uniques et de relations humaines fortes qui les rendent pour nous irremplaçables. Là réside notre attrait pour les îles calcaires inexplorées de la Patagonie ; voilà pourquoi nous y revenons encore et encore.