Si aujourd’hui la totalité de la planète semble avoir été explorée, en réalité ce n’est pas tout à fait vrai. Heureusement subsiste des lieux où personne ne s’est encore aventuré. Certes ces endroits sont devenus rares, et restent préservés du fait de leur inaccessibilité. (Grandes profondeurs océaniques, sommets très élevés et isolés, gouffres et abimes, quelques coins de déserts et de forêts primaires…)
Mais ces lieux voient malheureusement leur taille se réduire chaque jour un peu plus, d’où l’importance de les explorer et de les étudier avec respect, et dans un but de préservation. Les bouleversements climatiques et géographiques accélèrent plus encore l’urgence de ces explorations dont l’enjeu et de découvrir des richesses naturelles encore méconnues et les protéger avant même qu’elles ne disparaissent. L’enjeu actuel est bien là, ne pas faire disparaitre ce que nous ne connaissons pas encore.
Initiées par une poignée de scientifiques les premières expéditions de reconnaissance ont progressivement laissé place à des équipes plus nombreuses au champs d’investigation plus large et la logistique plus conséquente pour aller toujours un peu plus loin. La conjugaison des compétences est bien une des caractéristiques de Centre Terre et c’est là, la clef de l’obtention de résultats toujours plus complets et embrassant des champs de connaissances toujours plus vastes.
Tant qu’il y a des choses à découvrir, il y a des envies d’exploration, des besoins de connaissances, des aventures à vivre, et beaucoup à partager.
Pourquoi donc s’acharner ainsi sur cette région insulaire depuis plus de 20 ans ? Il y a plusieurs raisons. Il faut d’abord un petit groupe, un noyau dur de gens passionnés. Une chose est sûre : il y a un sentiment ancré chez tout être humain depuis toujours, c’est la curiosité́, aller où personne n’est allé́. Ce sentiment est très fort chez les spéléologues puisque nous sommes pour la plupart des explorateurs du monde souterrain. Il y a aussi ce désir de vivre et revivre ensemble des histoires uniques dans des territoires lointains, sauvages et d’une esthétique à couper le souffle. Car notre monde moderne, souvent trop artificiel, nous incite à revenir à l’essentiel : la terre, la roche, l’eau, l’air, les plantes, les animaux, les insectes, les poissons, les mammifères marins comme les dauphins et les baleines, tout ce monde minéral et vivant sans lequel nous ne pouvons exister. A savoir les géosystèmes et les écosystèmes.
En découvrant de nouveaux territoires, de nouveaux phénomènes, de nouvelles grottes, chaque participant fait œuvre de géographe et de scientifique au sens noble du terme, et contribue à faire progresser la connaissance. Chaque participant, même s’il n’est pas forcément un scientifique de profession, est un chercheur qui s’ignore. La science, c’est à dire la connaissance, appartient à toutes et à tous, c’est un bien commun qu’il faut développer et partager.
Nous faisons donc d’abord de la vraie géographie au sens large du terme. Rappelons que la géographie est une des sciences les plus anciennes avec l’astronomie et les mathématiques. Elle remonte à plusieurs millénaires et elle est plus que jamais d’actualité́. Mais nous élargissions aussi la recherche aux autres disciplines que sont les sciences de la vie et de la terre, mais aussi à l’archéologie car cette région si hostile a pourtant été parcourue par les Kaweskars, les « Nomades de la Mer » depuis des temps très anciens (5 à 6 000ans). Leurs adaptations physiologiques à ce milieu étaient remarquables. La Culture de ces premiers Patagons bien que matériellement réduite à l’essentiel a laissé des traces disséminées un peu partout dans les îles et où parfois les indices qui en témoignent sont discrets mais bien réels. Ces peuples premiers sont encore méconnus, et il reste donc encore beaucoup à découvrir à leur sujet.
Cette connaissance de notre planète dans les recoins les plus éloignés et les plus hostiles, montre que celle-ci est reliée de toute part, notamment par les échanges entre l’atmosphère et les océans. Il est vrai que les pollutions semblent faibles en Patagonie, mais il est possible de découvrir des débris de plastique sur la côte pacifique. L’activité économique y est très réduite mais elle a déjà un impact sur les milieux. C’est en effet dans ces contrées isolées que les changements ont des conséquences les plus brutales et que les pollutions les effets les plus délétères.
Tout chercheur passionné a une forte empathie pour la nature et ses arcanes, et notamment pour le monde vivant. Mais cela est vrai aussi pour tout être humain qui prend le temps de regarder, d’observer, un peu comme un enfant qui s’extasie devant le monde qui l’entoure. En retournant à Diego de Almagro puis à Madre de Dios, nous savons qu’il reste encore beaucoup à découvrir car le territoire est difficile d’accès, la progression à pied sur les « glaciers de marbre » et la forêt Magellanique est un défi permanent. Parcourir les moraines et les glaciers dont les mouvements s’accélèrent est une gageure. Mais c’est justement cette difficulté́ qui est une motivation. Cette recherche scientifique va à l’encontre de la mode actuelle qui consiste à changer de programme de recherche tous les 4 ou 5 ans. Les grandes découvertes scientifiques se font de plusieurs façons : aller dans des lieux et des directions non prévus, mais aussi être patient et savoir approfondir le sujet. Être très spécialisé́ est indispensable (par exemple un entomologiste spécialiste des coléoptères), mais il faut aussi faire le « pont » entre les disciplines, c’est la « transdisciplinarité́ ». Par exemple, il faut savoir faire le pont entre la végétation et l’évolution du climat. Il faut « remonter le temps » et savoir interroger le temps court et le temps long ( temps géologique).
Que se passe-t-il quand une période glaciaire arrive ? La végétation est-elle détruite ou va-t-elle migrer ailleurs. Il en est de même pour les espèces animales. Les grottes vont-elles servir de refuges ? Les stalagmites vont-elles se développer ou pas ?
En fait Centre Terre avec l’expédition Ultima Patagonia 2023 a pour ambition de partager avec celles et ceux qui ne peuvent être sur place, une démarche de recherche en lien directe avec les observations de terrain faites au cœur d’une exploration. Il s’agit de construire une démarche déductive avec des outils d’analyse scientifiques. La performance technique et sportive est ainsi mise au service de la science. C’est en ce sens une véritable démarche de sciences participatives, et d’appropriation des savoirs.
Ensuite sur un plan scientifique au sens large, ces expéditions permettent à des jeunes chercheurs, et notamment des jeunes universitaires chiliens de venir, soit poursuivre, approfondir ou compléter leurs recherches. Nous devons collaborer. Sans cette collaboration, rien n’est possible. Le mot collaboration est fondamental. En effet, pour réaliser ce type d’expédition, il est indispensable de faire appel à de multiples compétences et de nombreuses ressources. Là encore le caractère atypique de cette expédition repose sur un savant dosage de mise en œuvre associative (Centre Terre, les fédérations sportives, comités, clubs), d’institutions de recherches (CNRS CNES), de partenaires publics (Éducation Nationale) et privés, œuvrant en synergie pour faire vivre le volet scolaire notamment.
Malgré́ les motivations diverses et complémentaires évoquées plus haut, l’une d’elle est très importante. Elle consiste à montrer, comme nous l’avons dit au début, que notre planète connait une certaine finitude. Le temps est révolu où l’homme se sentait perdu sur une planète immense. Nos milieux naturels ont été́ morcelés, fragmentés, réduits, dégradés, à cause de la surexploitation des ressources et de la croissance démographique. Mettre un couvercle de protection sur Madre de Dios comme celui de « Patrimoine de l’Humanité́ », serait une très bonne chose, et nous tenons à appuyer la demande du Chili auprès de l’UNESCO à travers nos recherches. Mais il faut aller encore plus loin et convaincre à travers les films, les publications, les réseaux divers que le statut UNESCO ne suffit pas pour protéger les milieux naturels. La crise sanitaire du Covid 19 est en grande partie liée au morcellement et la réduction des habitats de la faune sauvage. Cette crise sanitaire ne fait que mettre en lumière l’importance du changement de modèle sociétal et d’exploitation des ressources naturelles.
Les dimensions écologiques et sociales sont les deux versants d’une même montagne. C’est pour cette raison que tout chercheur doit se poser cette question : pourquoi je fais cela et quelle est son utilité́. C’est ce que nous essaierons de montrer notamment dans le futur film documentaire.